« Spy x Family Code White » de Takashi Katagiri : quand Spy x Family devient un sous Spy x Family !

A l’heure ou ces lignes sont tapotées sur un clavier d’ordinateur portable, les films d’animation dérivées de manga ou de séries d’animation japonaises se classent le plus souvent dans deux catégories.

Ceux qui adaptent une suite en manga et servent de transition vers une nouvelle saison à venir comme Kaguya-Sama Love is War – The First Kiss That Never Ends, ou Demon Slayer – le train de l’infini qui faisait le lien entre les saisons 1 et 2 du manga de Koyoharu Gotōge, sans oublier le film d’animation Chainsaw Man prévu pour prochainement. Et ceux qui constituent des histoires plus ou moins indépendantes de la trame principale, en général originale et le plus souvent ce sont des gros bonbons pour les fans les plus ouverts, et qui vont se reposer sur les valeurs sures de la licence qu’ils transposent sur grand écran.

C’est le cas de plusieurs films One Piece ou Naruto par exemple, et ça doit aussi être le cas du film dont on va parler ici… sauf qu’il y a un hic : que se passe t’il quand on réalise un film adaptant un manga très populaire avec une histoire originale, mais que ledit film se rate tant à créer une trame crédible et échoue aussi éviter la caricature grossière d’un titre ? C’est ce que l’on va aborder ici avec Spy x Family Code White.

Une popularité grandissante pour une famille pas comme les autres.

Spy x Family est un manga Shõnen publié depuis mars 2019 et qui raconte le quotidien d’une famille au cœur de ce qui est, limpidement, une représentation de la période de l’Allemagne séparée durant l’ère de la Guerre Froide. Mais avec des noms différents comme Ostania et Westalis pour parler de l’est et de l’ouest, des noms de pays différents de notre monde et surtout une volonté de Tatsuya Endõ, l’auteur, d’en faire une comédie d’espionnage ou 3 personnes que rien ne lie (à part leur lourd secret ou don personnel) vont vivre ensemble quotidiennement dans le cadre d’une mission de sécurité nationale de première importance.

Loid Forger, alias Twilight, le meilleur espion d’une agence de renseignement de Westalis et qui a pour mission de former une famille factice afin d’approcher un homme politique supposément dangereux. Yor Forger/Briar, une tueuse à gage ayant pour nom de code Princesse Ibara et qui cherchait un époux en guise de couverture pour ne pas être suspectée à cause de son célibat et de son activité secrète. Et enfin Anya, une fillette de 4 ou 5 ans télépathe qui sait tous des activités de ses parents et tentent d’agir au mieux pour combler leurs attentes et avoir une famille, malgré sa mentalité de fillette qui pose bien des soucis. Et ils seront rejoint plus tard par un chien médium… parce que quitte à avoir une famille extraordinaire, autant impliquer les animaux.

Avec 13 tomes sortis au Japon (12 en France) et deux saisons diffusées, Spy x Family a su rassembler un assez large public et être un phénomène populaire à défaut d’être comparé à un Demon Slayer ou un Jujutsu Kaisen (qui, eux, avaient carrément emballé la foule). Mais si les aventures des Forger sont pour le moins sympathique et touchent parfois très juste au moment où on s’y attend le moins, il est difficile de ne pas avoir l’impression qu’il manque un sérieux quelque chose pour vraiment illuminer les foules et se transcender comme ont su le faire un My Hero Academia ou un Jujutsu Kaisen.

Cette gamine est une machine à internet meme.

Spy x Family a des moments de comédies parfois très savoureuses quand elle sait exploiter les talents de télépathe d’Anya et les difficultés sociales de ses principaux personnages (Loid et son acharnement au travail qui l’affecte même quand il tente de se reposer ; Yor soucieuse d’être une bonne mère pour Anya et de soigner son rôle d’épouse dévouée envers Loid mais avec de sérieux travers comme sa cuisine infecte ; ou encore Anya dont la vision enfantine des choses et son éducation problématique sont souvent sources de problèmes). La fratrie Forger est suffisamment attachante pour qu’on veuille les suivre au quotidien, tandis que le dessin de l’auteur est de bonne qualité dans l’ensemble et l’adaptation globalement plaisante et bien mené par deux studios d’animation très compétent. Et surtout, réentendre Adeline Chetail en VF sur un rôle central dans un animé japonais est un petit bonbon pour les oreilles.

Mais paradoxalement, Tatsuya Endõ prend trop peu de risque avec sa réappropriation d’un tel contexte historique, il n’est pas toujours des plus inspirés avec certains rôles secondaires comme Fiona Frost alias Nocturna ou Yuri (un agent de la police secrète) qui peut vite devenir lourdingue avec son béguin fraternel pour Yor, et l’auteur gagnerait à explorer davantage les origines et la psychologie de ses rôles principaux afin de donner de l’épaisseur à ses personnages et à leurs enjeux. Ne serait-ce que l’éducation éprouvante d’Anya en tant que sujet d’expérience qui expliquerait ses difficultés sociales ou l’enfance compliquée de Yor qui lui n’est qu’abordée en surface. Jusqu’à présent Twilight est le seul dont on a vu les cicatrices de la Guerre Froide et l’expérience qu’il en a faites mais ça n’est pas suffisant. Et surtout, il manque un gros grain de folie pour faire la différence.

Et la bande-annonce de code White n’avait pas pour objectif de bouleverser les habitudes d’Endõ. Sauf que dans le cas présent, il n’a pas été présent comme consultant ou producteur. De plus, ça n’est pas à Kazuhiro Furuhashi que la réalisation a été confié mais à un storyboarder et assistant-réalisateur, Takashi Katagiri, qui signe ici sa première réalisation. Et dont l’expérience or Spy x Family se limite à Bubble un film sorti sur Netflix et animé par le même studio, Wit Studio. Cependant le souci ne sera même pas là avec ce film, non les principaux problèmes sont ailleurs, et on va y venir.

Quand est-ce qu’on mange ?

Alors que la classe d’Anya s’apprête à prendre part à un cours de cuisine ou une distinction luxueuse est à la clé au sein de l’école EDEN, de son côté Loid Forger est contacté par son agence, WISE, l’informant que le gouvernement de Westalis compte le remplacer sur la mission STRIX dont Loid a la charge depuis un moment. Afin d’éviter ce remplacement, Twilight (Loid, donc) va emmener Anya et Yor dans une région enneigée afin d’étudier la recette d’une pâtisserie de la région afin de permettre à Anya de gagner sa distinction. Et ce sans se douter qu’un complot à l’échelle nationale est orchestré dans l’ombre.

Et là, premier problème que l’on peut avoir avec ce film, c’est la place que va occuper le point de départ pendant près de la moitié du film et ce pour une première menace totalement superficielle qui n’arrivera pas. Pour peu qu’on ait lu le manga ou vu les deux premières saisons de l’animé, je ne pense pas qu’il y ait grand monde pour croire que Loid/Twilight soit remplacé sur l’opération STRIX (qui est le fil rouge de l’œuvre). Honnêtement, comment peut-on envisager cette possibilité alors qu’on sait que Twilight est le meilleur dans son domaine en plus d’avoir plus d’un talent caché ? Même si son avancée est très lente avec l’opération STRIX et que le cliché du gouvernement incompétent est un classique, c’est trop difficile d’y croire.

Certains pourraient évoquer l’excuse des Stellas (les étoiles remises aux élèves d’EDEN pour avoir accompli des exploits exceptionnels et accéder à l’élite et à des relations importantes) ou bien le malentendu de Yor ayant cru voir Loid la tromper dans le dos en le voyant de loin, afin de donner un sens à ce voyage. Mais aucun de ces deux cas n’est très persuasif pour justifier tout ce foin et le séjour dans une région nordique du pays. Premièrement parce que la question de la Stella sera occultée tôt ou tard. Deuxièmement parce que le malentendu de Yor sur l’adultère de Loid ne mène qu’à un dénouement similaire à ce que l’on a vu en animé sur une autre situation, et n’apportera rien au final si ce n’est que… ben au-delà de leur couverture pour leur activité respective, il n’y a rien de nuisible ou de malsain dans leur faux ménage et ça laisse peu de mystère sur ou ça ira si Endõ ne se décide pas à créer davantage de dramaturgie ou à renforcer ses enjeux avec son œuvre.

Bon cela dit j’avoue que j’y goûterais bien à cette pâtisserie local (le mehre mehre, c’est comme ça que ça s’écrit ?)

Ceci étant dit, les animateurs de Wit Studio et CloverWorks (les deux collaborent pour cette adaptation) ont quand même plus d’une trentaine d’épisodes d’expérience derrière. Dans les faits, le passage à un script original a constitué un défi de plus et on peut déjà les remercier de ne pas avoir dénaturer les personnages (on est très très loin de ce type de bévue) et de faire apprécier le temps passé avec eux. On apprécie toujours l’émerveillement enfantine d’Anya qui raisonne toujours avec un esprit d’enfant malgré son don télépathique exceptionnel (on apprécie en revanche vachement moins le gag de très mauvais goût dont elle fera l’objet pendant un moment plus tard), on apprécie toujours le sérieux avec lequel Loid Forger s’implique dans son rôle et son professionnalisme dans ses entreprises (même si on l’a connu plus inspiré en matière de comédie), et Yor est clairement une épouse que l’on serait heureux d’avoir pour plus d’un d’entre nous… ou une mère que les enfants aimeraient avoir si on omet ses contrats de tueuses à gage.

Et même si Wit Studio n’atteint pas le même niveau de folie en termes d’animation qu’avec L’Attaque des Titans ou que Vinland Saga, le passage en format cinéma tient ses promesses graphiquement et scéniquement (en plus d’être aidé par leur collaborateur de CloverWorks qui font du bon travail également). Les mouvements des personnages sont plus fluides, les plans ont des angles plus larges et travaillés, la caméra est plus dynamique et rend les affrontements immersifs, il y a moins d’animation en 3D en arrière-plan pour les foules, de ce côté-là aucun souci à relever, on sait qu’on a des gens compétents et impliqués sur la forme.

Mais ça aurait été encore mieux s’ils avaient trouvé le moyen de mieux lier l’intrigue de départ avec la menace installée progressivement autour du colonel Snyder (oui… le méchant s’appelle Snyder, et non je ne ferais pas de parallèle avec un certain réalisateur et un univers super-héroïque), et cette histoire de pâtisserie. Parce que c’est là que ça nous mène à un autre gros problème du film : le déroulement des événements devient trop improbable pour que ça paraisse crédible, même pour du Spy x Family ou une comédie d’espionnage familiale. Et ça, le film ne va faire que le subir dès que les événements s’accélèrent à la fin de la première moitié du film.

OU EST MA CHOCOLATINE ? ELLE REPRESENTE L’AVENIR DE NOTRE MONDE !

Alerte méga-chiasse en vue !

Pour résumer brièvement sans trop en dire, Anya et Bond ont trouvé une valise suspecte pendant leur voyage aller en train. Dans cette valise, se trouvait un chocolat qu’Anya a maladroitement avalée et savourée, et dans ce chocolat était caché un microfilm comportant des informations primordiales dans le cadre d’une invasion orchestré par un chef militaire du nom de Snyder (un personnage tellement mémorable que j’ai oublié ses origines à part son amour pour les pâtisseries et son flair hors du commun)… alors déjà de un, cacher une source d’information dans une pâtisserie que n’importe qui pourrait croquer à pleine dent et qui peut facilement périmer avec le temps, c’est idiot. Quitte à cacher un microfilm ou un minidisque dur, autant prendre un objet qui dure ou dans lequel il est simple de dissimuler un petit objet (un bijou, un carnet, un mini coffre, quelque chose qui se conserve… mais pas un chocolat).

De deux, ce grignotage surpris pour Anya va faire l’objet d’un sketch de vraiment très mauvais goût. Que ça soit le sketch en lui-même, le personnage d’Anya qui est l’objet de cette très mauvaise blague, et le fait que ça soit dans un contexte tendu et mortel : en gros, si vous avez vu Hazbin Hôtel en VF diffusé sur Amazon Prime en début d’année, reprenez la scène de l’épisode 5 ou Alastor et Lucifer s’envoient des piques et remplacer Lucifer par Anya et alors l’insulte surprise d’Alastor devient un ordre à destination d’Anya :

« AH AH : VA CHIER ! »

NON ! Ce n’est pas une blague, le colonel Snyder va attendre qu’Anya ait envie de faire la grosse commission pour récupérer le microfilm dans ses excréments, et cette dernière va avoir le droit à une bonne dizaine de minutes de film (voire un quart d’heure) ou elle va se débattre pour se retenir de toutes les manières possibles. Jusqu’à fantasmer sur la « libération » face au dieu du caca… il serait passionnant de voir comment certains fans ont réagi dans la salle, mais ici ça paraît plus déplacé et surtout plus malaisant qu’autre chose.

Qu’Anya ait une attitude enfantine et soit l’objet de plaisanteries bon enfant et parfois à l’image de sa mentalité d’enfant, ça n’est pas un souci tant que c’est bien fait. Mais là, on passe de l’enfantin à l’infantilisant et au très mauvais goût tant la suggestion entre les bruitages et Anya qui se trémousse pour calmer sa diarrhée de plus en plus probante, plus les deux soldats qui doivent la surveiller de près pour quand elle craquera, c’est d’une puérilité que je ne m’explique pas. L’humour dans Spy x Family a déjà eu tendance à être par moment prévisible ou moins créative, mais elle n’a jamais basculé dans le vulgaire et encore moins à ce stade-là. C’est simplement inexcusable.

Et d’une manière générale, toute la deuxième moitié va cumuler de plus en plus un niveau de n’importe quoi d’improbabilité trop élevé même pour les standards de la série. Entre Yor qui coure à corps perdus et esquivent avec une facilité déconnante des balles de mitrailleuse (elle a eu un entraînement surhumain d’accord mais c’est pas One Piece ni Jujutsu Kaisen), Loid qui sort un masque de son cul magique face à Snyder afin de tromper les soldats encore présent dans la pièce, la veine improbable d’Anya pour éviter un empoisonnement de Loid au gaz toxique, ou ce face à face entre un supersoldat sorti du MCU et Yor qui est certes très beau à regarder scéniquement mais over the top là encore par rapport à l’œuvre qui est adapté en film, Code White en fait trois tonnes durant cette deuxième moitié pour aboutir sur du vide en fin de course (et une excuse bidon à base de gang voleur de chocolat pour expliquer la situation à Yor face à Anya et Loid).

Anya a la méga-chiasse… alors un peu de dignité s’il vous plaît !

Quand trop c’est trop.

Alors soyons honnête, la comédie dans Spy x Family, elle a déjà eu ses coups de mous et n’est pas non plus un open bar à l’imagination sans faille et encore moins à la surenchère d’action. Surtout que, à aucun moment elle n’a basculé dans le vulgaire ou le potache : ce genre d’humour a plus sa place dans le cinéma de Michael Bay ou dans Jojo’s Bizarre Adventure dans les moments les plus irrévérencieux que dans Spy x Family, et ce n’est pas peu dire. Et pour un premier film sur un manga à la popularité folle, ça le fiche mal mais pas autant que de voir les caisses pleines au Japon malgré tout (les différences culturelles y sont pour quelque chose mais il ne doit pas y avoir que ça).

Après, que les enjeux soient déconnectés au final du fil rouge de la série et que ce dernier soit une excuse pour lancer le film ? On peut l’accepter, après tout il y a déjà eu des films d’animation sympa dérivés de manga ou d’animé originaux qui peuvent se savourer en tant que tel sans être rattacher à la continuité de l’œuvre. Mais qu’un premier film se rapproche d’une caricature de ce qu’il adapte (ce que j’ai ressenti ici), ça n’est pas normal et ça ne doit pas devenir une norme. Il y a des œuvres qui ont eu pire traitement, c’est sûr, mais il y a aussi eu des meilleurs films y compris sur des licences plus grand public (Pokémon, par exemple, en a eu certains).

Et dans le cas présent, c’est à peu près de cette manière qu’on peut vivre Code White : une caricature malgré elle qui n’apporte rien de plus au final à son support de base et reste dans une zone de confort, quitte à avoir des airs de surenchères totalement inadéquat et hors de propos avec son matériau d’origine. Et même pour des comédiens que j’apprécie au doublage français comme Adeline Chetail (toujours très impliquée sur Yor), Lila LacombeGlen HervéEric Peter ou encore Sophie Planet, et par moment certaines répliques ou gag placé au bon endroit, cela ne cache pas la démarche gênante au final.

« – Ces maudites cibles se déplacent trop vite.
– D’autant plus qu’elles sont immobiles. »
Bon j’avoue, celle-là m’a fait rire.

En d’autres termes et pour mettre un point à cela : Spy x Family code White n’est pas une horreur ni une insulte à proprement parler et il a les qualités formelles de toutes adaptation de manga qui se respecte. Mais ce qu’il gagne en qualité graphique, il le perd en crédibilité et cohérence en matière d’écriture, voit son humour passer du bon enfant au grossier, et il peine à créer un lien entre un enjeu très faible en termes d’impact et un autre très mincement déconnecté. Et au final, il cherchera surtout à plaire aux jeunes lecteurs en jouant la facilité, facilité que même Endõ n’a pas encore employé même durant les passages plus platoniques de son manga jusqu’à maintenant.

On aura beau dire qu’au Japon ça a été un carton commercial, il n’est jamais mauvais de rappeler qu’un succès au box-office n’est pas indicatif sur la qualité d’une œuvre au cinéma. Surtout quand on sait que la réception au Japon n’est pas la même qu’en France avec les mangas et les animés. En ce qui concerne le rédacteur de cette critique, il faudra attendre encore un moment avant de dire si oui ou non Spy x Family mérite une telle popularité. Pour le moment, nous n’y sommes pas encore et toutes les larmes de crocodile d’Anya Forger n’y changeront rien.

J’ais dis : RIEN !

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